Label: Denovali
Date de sortie: Avril 2012
Genre: Ambiant/ Neoclassique/ Orchestral/ Cinematic/ Indus (faites votre choix)
Qu’il est dur pour moi de commencer cette chronique, j’ai encore du mal à digérer la profondeur abyssale de cet album. Décidément, quel abysse ! Certainement un de ceux dont on n'en réchappe pas indemne, comme si cet œuvre laissait une cicatrice indélébile un peu partout en nous. Il est inutile de se le cacher, l’écoute de cet album m’a changé irrévocablement et imperceptiblement, avec un certain recul je m’aperçois que je ne vois plus les choses de la même façon. Si vous rechignez à aller plus loin dans cette lecture écoutez au moins ceci, même si c’est à votre insu.
Lorsque l’on tient quelque chose de si fort, un lien si intime, on a du mal à la partager. Plus qu’un attachement, c’est une dépendance qui s’évapore.
Je crois que je ne pourrais jamais assez remercier Thomas Bücker le père de cette œuvre infinie, et pourtant il avait déjà mis la barre là-haut, dans les étoiles, loin dans le firmament avec son album sortie en 2008 sous Lidar puis en 2010 sous Denovali. Un album qu'il a choisi de le publier sous un pseudonyme trompeur : Bersarin Quartett (qui n’est pourtant que le fruit (mais quel fruit !) d’un seul homme (mais après tout, quel importance ?). Comment alors imaginer faire mieux avec si peu, comment créer autant d’émotion avec une machine car ici tout est question d’électronique et de plugins. C’était en avril dernier que sortait le sobrement intitulé II sorti sur Denovali, alors pourquoi le chroniquer en octobre alors que doucement le soleil, au loin, décline tandis qu’apparaît sa progéniture d’une blancheur immaculé? Par paresse sans doute, puisque ce titan a déjà été chroniqué par nombre de blogs (ce dont je suis ravi), mais je crois surtout par égoïsme, afin de garder précieusement en moi LE SECRET unique et volatile que renferme cette si petite chose de 11cm (ou 12 pouces si vous optez pour le vinyle). Ambiante, Jazz, Post Rock, Industrielle, Néoclassique, Orchestrale, aucun qualificatifs ne pourraient cependant définir cette œuvre, elle appartient à tous les genres et aucun à la fois. Un hybride contenant le néant tout entier. Cinématique, serait le terme qui lui conviendrait le mieux mais le mot est bien trop faible.
Niemals Zuruck ou point de non-retour, voilà qui qualifie si bien le début de cet album car franchir la 1ère seconde de ce morceau s’est se condamner à changer, à évoluer contre notre gré. Un bruit sourd, provenant des ténèbres les plus anciennes, déracine nos derniers espoirs nos derniers chagrin et les plaques brutalement devant nous, sur nous, en nous… Les cordes orchestrales comme figés, la douceur des bois, l’écho si puissant et nous voilà, moins que rien que nous sommes, nu devant l’échéance fatale. Une impression de déjà-vu émane de cette musique, comme si une certaine créature supérieure nous avait fait naître avec elle, vivre avec elle et enfin mourir avec elle, comme si nous venons enfin de comprendre qu’ici se trouve l’achèvement de toute chose, la convergence de tous les temps et de tous les espaces qui viennent de nous retrouver enfin… Une musique (si on peut encore l’appeler comme cela) touché par la grâce grâce aux vagues ambiantes lors de Zum Greifen Nah ou sur Perlen, Honig oder Untergang, identique au souffle des anges. Un côté grandiloquent, peut-être, mais quel mal y a-t-il à cela ? Quand on atteint le degré de production de Brücker on parle de grandeur et non de décadence. Dans Einsame Wandeln Still im Sternensaal ou Der Mond, der Schnee und Du ressort une espèce de froideur sidérale mais loin d’être hostile: une moiteur d’argent. Les glitchs glacés sur ce dernier morceaux perforent nos dernières défenses, neurones et synapses abdiquent et sombrent dans l’oubli. L’habileté incroyable du producteur est aussi dans l’agencement de cet album, de nous emmener toujours là où nous étions jamais allé avec des ambiances plus industrielles et donc encore plus froide que précédemment. Alors nous voguons une fois de plus à la dérive, à la découverte de l’inconnu en train d’assister à un spectacle dramatique d’une poésie inimaginable. En effet, II est aussi une histoire où la romance, la souffrance, le drame s’entremêlent tout au long de l’écoute, tandis qu’au loin la lumière de l’espérance veille à nous laisser émerger. Son meilleur exemple serait Keine Angst pause salvatrice et réconfortante après un Rot und Schwarz où même la noirceur pâlirait de terreur devant lui. Mais nous n’avons désormais plus peur, les amants se sont retrouvés après maintes angoisses, pendant que nous dérivons inlassablement mais, désormais, avec l’assurance que tout ira pour le mieux. La fin se profile à l’horizon, le dénouement est encore plus terrible que le commencement, comment retourner à la vie réelle après cela, comment penser au futur alors qu’il nous semble que notre destinée vient juste de s’accomplir sous nos yeux ?
Nul doute que II est l’un, non, LE meilleur album que j’ai pu écouter: Bersarin Quartett évolue vers des confins qui me semblaient alors inatteignable et libère notre imagination trop longtemps noyé dans la masse. Une maîtrise inégalable des instruments, des plugins surtout, mais aussi des ambiances et de la trame de fond car II est avant tout un conte écrit pour tous. Je laisse le soin à Théophile Gautier d’achever cette chronique :
Le pin des Landes
On ne voit en passant par les Landes désertes,
Vrai Sahara français, poudré de sable blanc,
Surgir de l'herbe sèche et des flaques d'eaux vertes
D'autre arbre que le pin avec sa plaie au flanc ;
Car, pour lui dérober ses larmes de résine,
L'homme, avare bourreau de la création,
Qui ne vit qu'aux dépens de ce qu'il assassine,
Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon !
Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte,
Le pin verse son baume et sa sève qui bout,
Et se tient toujours droit sur le bord de la route,
Comme un soldat blessé qui veut mourir debout.
Le poète est ainsi dans les Landes du monde ;
Lorsqu'il est sans blessure, il garde son trésor.
Il faut qu'il ait au cœur une entaille profonde
Pour épancher ses vers, divines larmes d'or !
Théophile Gautier
Que dire de plus ?
Raphaël Lenoir